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| title | Rôle de la situation d'énonciation dans le fonctionnement des temps grammaticaux et mode |
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| start_date | 2007/12/14 |
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| schedule | 14h30-17h30 |
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| online | no |
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| summary | A première vue, il y a bien peu d’énoncés qui parlent sur la situation d’énonciation. Citons quand même les énoncés constatifs (« qu’est-ce qu’il fait chaud ici, j’enlève mon pull » et les énoncés dits du commentateur sportif (« Et Zidane tire »). A cela, une raison. Sit° étant par définition partagé, il n’y a aucune pertinence à dire ce que l’autre sait déjà. Néanmoins, on peut constater que cela serait bien le diable si Sit° ne se trouvait pas inscrit dans la Langue et même en son cœur étant donné l’acte fondateur que représente toute énonciation : un locuteur L1 parle à un allocutaire L2 à T0. A mieux y regarder, on peut trouver un nombre très conséquent d’énoncés qui rentrent dans cette catégorie, et ce sont les énoncés au présent. Pourquoi ne pas voir en effet ces énoncés comme décrivant la situation d’énonciation pour l’autre ? Il y a en effet de nombreux cas où ce dernier peut n’avoir qu’un vision restreinte ou incomplète de la situation (cf. on pensera par exemple au! sit° d’une discussion téléphonique).
Exemples :
- (quelqu’un sonne. J’ouvre :) « Chut, Nicolas dort ».
Je mets au courant l’autre de ce qu’il ne sait pas encore, pour qu’il intègre la nouvelle donne concernant la situation d’énonciation.
- « Et c’est le penalty ! »
Le commentateur sportif lui-même ne fait que décrire à chaque instant une situation d’énonciation qui change… à chaque instant.
- Ce qui se passe dans ma tête à T0 est par définition inconnu de l’autre :
« Je pense qu’il vaudrait mieux… »
« Je crois que tu devrais… »
« Il est évident que… »
(soit toutes les modalités composées de préfixes métapropositionnels au présent).
- Je peux également te parler d’une déduction que je fais à ton propos :
« Tu penses que je devrais y aller ? »
- Toute histoire fictive ou non peut faire l’objet d’un traitement à T0. Elle se déroule alors sous les yeux de l’autre :
« L’autre jour, j’arrive chez la crémière… »
« Napoléon décide alors de marcher sur Moscou »
- La situation d’énonciation peut être vue comme contenant des événements passés ayant une incidence à T0 :
« J’arrive de Londres. »
« T’as vu ce film ? »
- Je peux également élargir la situation d’énonciation en y intégrant un événement non encore produit :
« J’arrive ! »
- Le locuteur résume pour l’autre des éléments qu’il est nécessaire qu’il connaisse :
Sophie et Christian habitent Besançon. Il a 23 ans, elle 40.
- Le locuteur peut également rappeler des événements ou des éléments déjà connus mais non associés spontanément à la situation :
« Tu sais, les parisiens prennent tous leur vacances en août, il y a peu de chances pour que tu trouves quelque chose d’ouvert. »
- Sans clore cette liste , on peut encore citer les énoncés performatifs qui perdent ici (définitivement) leur statut de ‘verbes spéciaux’ : ces énoncés permettent en effet la transformation de la situation, justifiant par là-même leur énonciation à l’autre :
« Je lève mon verre… »
« La séance est levée »
« Je vous déclare mari et femme »
« Je te le promets »
« Je le jure »
…
D’une manière générale, on peut résumer la donne sur le présent comme suit (ce sera sa glose) : les énoncés au présent sont des énoncés où le locuteur (en fait sous sa forme d’énonciateur car le présent ne se joue qu’au niveau syntaxique) dit la situation d’énonciation à l’autre.
La question qui vient alors à l’esprit est : pourquoi le fait-il ?
Lorsqu’on utilise le présent, on recrée une situation virtuelle d’énonciation dans laquelle on dit à l’autre des éléments de celle-ci. Cette dernière n’a par définition rien à voir avec la situation réelle d’énonciation puisque celle-ci est, par définition là aussi, partagée (on pensera à la pertinence qu’il y a à dire « je suis là en face de toi, nous sommes dans tel endroit, il y a une fenêtre à ma droite et un frigo à ta gauche… »).
L’utilisation du présent devient alors l’art de faire prendre à l’autre des vessies pour des lanternes. L’image peut paraître cavalière… mais elle est pertinente. En effet, tout ce que je dis est par définition faux (je ne suis pas en train de descendre de l’avion de Londres, Napoléon n’est pas en train d’envahir la Russie, je n’arrive pas chez la crémière, il n’y a pas de couple Sophie et Christian et ils n’habitent pas Besançon, les parisiens ne prennent pas tous leurs vacances en août (il en reste)), ou alors ces énoncés, je te demande de les croire (je pense que…, Nicolas dort, Zidane tire (radio), je le jure, je vous déclare marie et femme). D’autres enfin sont invérifiables (le fer fond à 1000 degrés, la lune se trouve à 386 000 km de la terre…). Ce qui unifie tous ces énoncés c’est qu’ils sont non problématiques : quand je les dis, tu me crois. La conséquence en est très importante : ces énoncés faisant indubitablement partie de la situation d’énonciation (même si ell! e est tout sauf réelle), ils obéissent donc au principe du savoir partagé à T0 : nous sommes toi et moi liés par eux : « moi, allocutaire , je ne peux remettre en cause ces énoncés. La situation est comme tu la dis et pas autrement ».
On voit qu’il n’est question ici nullement de temps chronologique. C’est tout simplement que, si l’on parle du présent comme se produisant à T0, il faut aussitôt dire qu’il s’agit de la triade (locuteur, allocutaire, T0), c’est-à-dire que locuteur et allocutaire forme un couple indissociable validé par T0. Dès lors, les seules significations qu’apportent le présent (en dehors du « contenu de sens ») ne peuvent être que d’ordre pragmatique (donc inter-locuteurs).
Ainsi, lorsque je dis « Nicolas dort », je veux que l’autre parle à voix basse ; lorsque je dis « et Zidane tire », je veux que le téléspectateur vibre avec moi ; lorsque je dis « j’arrive de Londres », je veux justifier mon retard et ainsi que l’autre m’excuse ; quand je dis « j’arrive », je veux que l’autre comprenne que sa demande de me voir est prise en compte. De même quand je narre une histoire au présent, le déroulement devant les yeux de l’autre permet là aussi que l’on vibre ensemble ; enfin, quand j’utilise les énoncés au présent de généralité, je rappelle à l’autre une donnée dont il peut avoir oublié la pertinence à T0, ce qui a pour effet de faciliter mon argumentation (je le convaincs plus facilement).
Nous n’avons pas encore parlé du « présent d’habitude ». Ce type de présent découle de ce qui a été dit précédemment : l’habitude étant par définition non problématique, et le présent servant surtout à énoncer des faits qui ne le sont pas (présents), tout concourt à ce que celui-ci devienne le temps de l’habitude par excellence.
[On se reportera à mon exposé de vendredi 14 pour l’imparfait et le futur.] |
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| responsibles | Donabédian |
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