| old_uid | 6861 |
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| title | Naturalisation de l’éthique et naturalisations des mathématiques |
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| start_date | 2009/05/06 |
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| schedule | 18h-20h |
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| online | no |
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| summary | A priori, rien de plus opposé que l’éthique et les mathématiques. Les conflits éthiques sont innombrables et, semble-t-il, insolubles ; ils reflètent ni plus ni moins nos divergences de points de vue personnels et collectifs. Les mathématiques possèdent en revanche un arsenal impressionnant de résultats objectivement attestés par les preuves et les calculs ; les vertus de leur applicabilité son indéniables. On propose depuis le début des années 1980 de naturaliser ces deux disciplines sans trop s’attarder sur cette différence, supposée établie ou manifeste. Je m’attacherai à la mettre en doute et à expliquer pourquoi certaines formes de naturalisation ne peuvent rendre compte, respectivement, ni des difficultés intrinsèques des conflits éthiques, ni des difficultés intrinsèques des problèmes mathématiques, pour des raisons étonnamment similaires. Je m’attacherai dans un premier temps à décrire les traits saillants de ces tentatives de manière à faire ressortir leurs points communs. Dans un deuxième temps, je chercherai à montrer que l’élimination de la notion de vérité, en éthique comme en mathématique, conduit à des difficultés qui, même si elles étaient surmontées, ne permettraient pas de donner une bonne explication des difficultés intrinsèques. La naturalisation peut s’entendre en deux sens. En un sens faible, on peut vouloir montrer qu’une discipline est compatible avec les sciences de la nature. Le sort des mathématiques est réglé sur ce point puisqu’elles leur sont nécessaires, comme l’emploi du calcul infinitésimal et le recours au statistiques le montrent aisément. Dans le cas de l’éthique, on pourra faire valoir le point de vue de l’autonomie des obligations, et la compatibilité des deux genres de domaines est alors une simple affaire d’hétérogénéité. En un sens fort, on peut soit tenter d’expliquer les concepts d’une discipline en ayant recours aux concepts d’une science de la nature, soit tenter de montrer que le savoir particulier que la discipline déploie est acquis selon des processus dont les sciences de la nature peuvent rendre compte sans difficulté. Dans le cas de l’éthique, on a pu adopter la première voie, en cherchant à montrer qu’elle est un produit final de la sélection naturelle, que la fonction adaptative des normes éthiques démontre le caractère superfétatoire de l’objectivité éthique (cf. Ruse 1985, Ruse 1991, et dans une moindre mesure, Gibbard 1990 pour la psychologie des sentiments moraux). L’objectivité n’est rien de plus qu’un effet. Dans le cas des mathématiques, on a adopté la deuxième en proposant une explication de la connaissance mathématique qui élimine toute référence aux objets abstraits ou idéaux. Les perspectives nominalistes, matérialistes ou causalistes, ont fait l’objet de développements récents, cherchant à montrer que la bonne explication de l’utilité des mathématiques militait en faveur d’une conception antiréaliste de la discipline (Field 2001). L’objectivité est instrumentale. Je m’attacherai ici à critiquer la perspective de la naturalisation forte en examinant deux cas : celui de la fonction adaptative (éthique) et celui de la nominalisation (mathématique). Dans ces deux perspectives, ce qui nous empêche de régler un conflit éthique, tout comme ce qui nous empêche de trouver une solution à un problème mathématique, ne relève pas de l’opacité d’un secteur particulier de la réalité (une supposée « réalité éthique » dans le premier cas, une « réalité mathématique » tout aussi problématique dans le deuxième). Qu’est-ce qui nous empêche de démontrer la conjecture arithmétique de Goldbach, ou de trouver un argument contraignant pour ou contre l’euthanasie ? Aucun fait pertinent autonome que nous pourrions ignorer, puisque nous travaillons dans l’hypothèse qu’il n’y a pas de réalité morale ou de réalité mathématique autonome. Il faut donc chercher l’explication du côté de nos limitations cognitives, soit à l’inspection de données pertinentes externes (respectivement : non spécifiquement éthiques et non spécifiquement mathématiques), soit du côté de nos limitations cognitives à l’introspection. J’examinerai les difficultés propres à chaque hypothèse. Ma suggestion sera que nous devons défendre une notion minimale de vérité et de rationalité pour rendre compte de ces difficultés cognitives, aussi bien dans le domaine éthique que dans le domaine mathématique. Cette stratégie est préférable à celle du remplacement pur et simple de la notion de vérité, par la prouvabilité ou la conservativité dans le cas des mathématiques, et par l’utilité ou le rôle évolutionnaire dans le cas de l’éthique.
Bibliographie indicative : Field Hartry (2001), Truth and the Absence of Fact, Oxford, Oxford UP. Gibbard Allan (1990), Wise Choice, Apt Feelings : A Theory of Normative Judgment, Oxford, Oxford UP. Pataut Fabrice (1999), « Vérité morale et justification morale », in R. Ogien (dir.), Le réalisme moral, Paris, PUF : 457-502. Ruse Michael (1985), Taking Darwin Seriously : A Naturalistic Approach to Philosophy, Oxford, Blackwell. Ruse Michael (1991), « Une défense de l’éthique évolutionniste », in J.-P. Changeux (dir.), Fondements naturels de l’éthique, Paris, Odile Jacob : 35-64. |
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| responsibles | Silberstein |
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