Les formats d’expression de la distance des journalistes politiques à leurs sources

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titleLes formats d’expression de la distance des journalistes politiques à leurs sources
start_date2010/04/09
schedule16h30-17h30
onlineno
detailscoordination Alice Krieg-Planque et Caroline Ollivier-Yaniv
summaryCette communication s’appuie sur un travail de doctorat sur les transformations du journalisme politique en France et en Italie depuis les années 1980 (soutenu en décembre 2006 à l’université Rennes 1) et mobilise divers matériaux d’enquête : une trentaine d’entretiens (en majorité auprès de journalistes politiques du Monde et du Corriere della Sera, mais aussi de Libération, du Figaro et du Parisien) avec des journalistes politiques français de la presse quotidienne nationale d’information générale et politique ; une période d’observation directe (au cours des mois de novembre et décembre 2001) effectuée au service politique du Monde ; une analyse de contenu sur des corpus d’articles (Plusieurs corpus sur des périodes de « routine » en matière d’actualité politique (diachronique entre novembre 1981 et 2002 ; janvier 2005) et sur des périodes « chaudes » (campagne présidentielle 2002, de janvier à mai)). Nos entretiens et analyses de corpus ont permis de relever l’appropriation, depuis les années 1990, de formes narratives que, traditionnellement, l’on ne rencontrait pas, ou peu, dans les formats d’expression préférentiels du journalisme politique (Neveu 1993) et qui mettent en scène la distance des journalistes politiques à leurs sources : le récit politique, le décryptage des « coups » médiatiques ou de la communication politique, la valorisation des aspects anecdotiques de la vie politique. Les journalistes adoptent une rhétorique du cynisme qui propose une lecture de la politique selon deux dimensions principales : l’une objectivante ou utilitariste, où les actions politiques sont analysées comme des coups tactiques, des logiques de carrières, des stratégies médiatiques, se concentrant alors sur la politics (et non la policy) ; l’autre désacralisante ou dé-singularisante, où la politique est montrée « par le petit bout de la lorgnette », les effets de personnalisation et de psychologisation, d’ironie et d’empathie donnant à voir les acteurs politiques comme des personnes parmi d’autres. Cette rhétorique du cynisme correspond à une stratégie de dévoilement des coulisses de la politique. La rhétorique du cynisme a progressivement supplanté celle du surplomb, qui, à partir des années 1970, constituait une première expression des transformations dans les rapports de force entre les journalistes et le personnel politiques, dans le sens d’une prise de distance des premiers vis-à-vis des seconds. Cela correspond à une phase où les quotidiens nationaux se sont éloignés d’une adhésion revendiquée aux positions de parti. La rhétorique du surplomb produisait un discours visant à placer les actions politiques dans une compréhension sur le long terme, à évaluer les stratégies politiques, à produire des jugements prospectifs. Elle s’incarnait dans les formes textuelles de l’expertise critique et de l’analyse stratégique et correspondait à une stratégie de « transfert de conviction » (Lochard 1996) : le journaliste cherchait à convaincre le lecteur de son point de vue, étayé par des éléments d’analyse et un corpus documentaire. Ce glissement relatif d’une rhétorique à l’autre au tournant des années 1990 correspond à un infléchissement dans l’illusio politique des journalistes politiques : alors que la rhétorique du surplomb impliquait une adhésion aux principes du champ politique, un « enchantement », la rhétorique du cynisme indique un « désenchantement » qui prend la forme d’une « critique politisée » (Gaxie 2001). Ces évolutions sont à mettre en lien avec les transformations des caractéristiques sociographiques des journalistes politiques, de leurs modes de socialisation politique et professionnelle, au cours des 30 dernières années. Ce glissement s’interprète aussi comme l’effet d’une contrainte de position des journalistes politiques dans les rédactions de la PQN : ceux-ci se voient progressivement dépossédés par des experts externes des formats d’expression du commentaire et de l’analyse. Dans un souci d’objectivité, les quotidiens s’organisent désormais selon une séparation physique des faits et des commentaires, ces derniers étant circonscrits dans des espaces à part réservés aux voix extérieures. Tout en organisant la polyphonie du discours, les journaux se désolidarisent des opinions qui s’expriment dans leurs pages. Références : Lance Bennett (1997), “Cracking the News Code. Some Rules That Journalits Live by”, in Shanto Yiengar, Richard Reeves, Do the Media Govern? Politicians, Voters and Reporters in America, Sage Publications, p. Jacques Le Bohec (2000), Les Mythes professionnels des journalistes. Etat des lieux en France, Paris, L’Harmattan. Timothy Cook (1998), Governing with the news, University Press of Chicago. Eric Darras (1998), « L’institution d’une tribune politique. Genèse et usage du magazine politique de télévision », Thèse de science politique, sous la direction de Jacques Chevalier, Paris II Panthéon-Assas. Herbert J. Gans (1998), “What Can Journalists Do for American Democracy?”, in Press/Politics, 3 (4), p. 6-12. Daniel Gaxie (2001), « Les critiques profanes de la politique. Enchantements, désenchantements, réenchantements », in Jean-Louis Briquet, Philippe Garraud (dir.), Juger la politique, Rennes, PUR, 2001, p. 217-240. Guy Lochard, « Genres rédactionnels et appréhension de l’événement médiatique. Vers un déclin des modes ‘configurants’ ? », in Réseaux, 1996, n°76, p. 83-102. Erik Neveu (1993), « Pages 'Politique' », in Mots, n° 37, p. 6-28. Erik Neveu (2003), « Journalistes et hommes politiques: quelle connivence? », in P. Brechon (dir.), La gouvernance de l’opinion, Paris, L’Harmattan, p. 181-196. Rémy Rieffel (1984), L'élite des journalistes. Les hérauts de l'information, Paris, PUF. Michael Schudson (1999), “Social Origins of Press Cynism in Portraying Politics”, in American Behaviorist Scientist, Vol. 42, n°6, mars, p. 998-1008. Gaye Tuchman (1972), “Objectivity as a Strategic Ritual. An Examination of Newsmen’s Notions of Objectivity”, in American Journal of Sociology, Vol. 77, n°4, p. 660-678.
responsiblesKrieg-Planque