Comment les outils quantitatifs permettent-ils de renouveler l'étude empirique du changement linguistique ?

titleComment les outils quantitatifs permettent-ils de renouveler l'étude empirique du changement linguistique ?
start_date2023/11/28
schedule10h-12h
onlineno
location_infoSalle de séminaire 1, bât. Max Weber
summaryL’étude empirique du changement linguistique se heurte souvent à des limites, autant méthodologiques que théoriques. J’exposerai ici trois d’entre elles, avec pour objet non de dresser une critique de la linguistique diachronique, mais de proposer quelques pistes qui s’ouvrent à l’étude et qui permettraient de brosser à terme un portrait plus précis et plus cohérent du changement linguistique, qu’il s’agisse du changement linguistique dans son ensemble, compris au travers de mécanismes et de phénomènes récurrents, ou de changements linguistiques individuels, en vue de saisir au plus près l’histoire des formes qui composent collectivement la langue. La première de ces limites concerne la granularité de l’échelle temporelle. La littérature utilise des échelles qui vont d’une année (Ghanbarnejad et al. 2014) à quelque chose de l’ordre du siècle (Hartmann 2018), tout en devant tenir compte, bien sûr, des limitations intrinsèques aux corpus historiques. J’avancerai ici que les phénomènes de changement linguistique prennent place sur environ un siècle, si bien que, pour en saisir les dynamiques, il est nécessaire de se munir d’une échelle bien inférieure. Je prendrai pour exemple le développement de la construction *en plein N*(Feltgen 2022a). Je soulignerai en particulier que certaines hypothèses théoriques, comme celles de la directionalité, ne sont pertinentes que sur de larges échelles de temps, mais échouent à rendre compte de la diversité des phénomènes que révèle une granularité temporelle plus fine. La seconde limite touche à la granularité sémantique et au développement de la polysémie. Si le cadre théorique de la grammaticalisation fait souvent intervenir *a minima* un sens source et un sens cible (Heine 2002), qui peuvent se superposer et coexister dans l’usage, une forme peut revêtir (successivement, ou cumulativement) différents sens. Je développerai l’idée qu’il est néanmoins utile de considérer un nombre restreint de « domaines sémantiques, et que cela peut constituer une hypothèse minimale. Pour illustrer ces questions, je me pencherai sur l’évolution de *en train de*, particulièrement riche en rebondissements sémantiques. Je discuterai également des difficultés que pourraient rencontrer certaines approches fondées sur la sémantique vectorielle, même si je n’exploiterai pas cet outil ici. La troisième limite enfin est de considérer les changements individuels de manière isolée les uns des autres. D’autres auteurs ont déjà mentionné la pertinence de considérer différents changements comme « liés » (Marchello-Nizia 2000, Marchello-Nizia 2009), mais j’insisterai ici sur le fait que ce phénomène est probablement plus général, et parfois difficile à circonscrire, pouvant faire intervenir non seulement différentes formes, mais également différents niveaux de l’organisation de la langue. Je me focaliserai alors sur la relation en diachronie entre différents quantifieurs (Feltgen 2022b). Je montrerai qu’un événement de changement linguistique peut articuler différents niveaux au sein d’une structure organisationnelle complexe, et qu’en même temps, certaines formes individuelles peuvent se particulariser en se comportant d’une manière distincte. En m’appuyant sur un autre exemple abordé brièvement, celui des prépositions complexes de la forme *en N de *(Feltgen 2023), j'avancerai également l’idée que des changements peuvent être liés à un niveau plus abstrait que celui d’une construction spécifique. Ces différentes approches quantitatives remettent en question les cadres théoriques existants pour rendre compte des changements linguistiques individuels. Sans les rendre en rien caducs, la diversité des phénomènes empiriques qu’elles mettent en évidence déborde parfois ces cadres, qui ne suffisent dès lors plus à les appréhender et à en élucider le développement. De cette manière, l’approche quantitative contribue à dessiner de nouvelles perspectives théoriques pour la linguistique diachronique, articulées autour de la complexité intrinsèque des phénomènes mis en jeu par le changement linguistique
responsiblesBattistelli, Villoing